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Lettre ouverte* de Jean-Louis Bernard à Évelyne Morin sur Blessure de l’ange
J’ai lu tes textes, relu, m’en suis imprégné, me suis interdit de lire ce qu’en disaient P Maubé et M Glück (ai lu après, bien sûr). Ai jeté sur un papier plein de choses que je te livre en vrac, sans lien apparent entre elles (à moins que…). À toi de juger.
Omniprésence du blanc, couleur de l’effroi, de la solitude. Couleur immobile et glacée. Géhenne sans mémoire (le début d’un de mes tout derniers poèmes : « Quand fond la neige / où va le blanc »).
Les horloges scandent l’absence, la fuite, le temps qui passe et le temps qu’on passe. Moins symbole de l’éternel que de l’inépuisable. Chronos qui passe – Kronos qui nous mange ?
La terre. Est-ce notre ultime recours ou celle qui emplit notre bouche pour nous forcer au silence, même de notre vivant ? On se terre dans nos tanières (!), renards blessés, on entre en résurgence.
La douleur est là sous tes mots et entre eux. Présente. Dès notre naissance sans doute. Elle n’a pas d’objet. Elle se tient immobile, pure, blanche. Elle n’est pas chagrin. Elle nous soutient peut-être, parfois.
Le Vide. Essentiel. Complice indispensable du surgissement, sentier pour les mots dans le désarroi de la parole. Abysse fondatrice qui nous dépose à intervalles réguliers sur nos rivages d’exil.
Se tenir en lisière du monde (« qui parle au bord du monde ? » (J-L Bernard)), des mots, de soi-même. Côtoyer l’intemporel, le Perdu quignardien, ce qui nous fut enlevé à notre naissance. Et le « non lieu » dont tu parles, chemin d’exil sans substance (au sens juridique du terme → acquittement faute de preuves → Char : « Le poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. »).
La « barque transcendantale du soleil » aurait-elle à voir avec celle, funéraire, des anciens Égyptiens (Râ → Anubis) ?
Nos reflets nous trahissent. Cris répercutés par nulle paroi. La lune est réceptacle des hurlements des loups. La nuit étend ses voiles, et ce n’est pas l’imposture de la clarté qui peut lui résister.
Le mot « pendre » comme un leitmotiv. Au Tarot, le pendu est la carte du renoncement. Mais aussi (pourquoi « mais », au fait ?) celle qui voit l’envers des choses (l’autre côté du miroir).
L’éclat et l’obscur. Jaillissement du continu (Héraclite). Mystère au sens d’Éleusis (cérémonie initiatique). Des deux, l’Obscur n’est pas nécessairement le plus difficile à appréhender.
« Puits obscur recélant l’eau » → la Caverne ?
Le Trismégiste dont tu parles. Hermétisme au sens initial. Hermès conducteur des âmes vers Hadès, descend dans la nuit et fait apparaître les gouffres. Nous fait voyager au centre du vertige originel.
Se tenir là où règnent « ordre et beauté » à l’écart des foules. Tenter de frôler l’indicible et l’inconnaissable (je n’ai pas dit « l’inconnu »). Lutte de Jacob et de l’Ange.
Rejoindre les eaux primordiales. Bien sûr qu’elles sont noires. L’origine est noire. La « blanche Ophélie » flotte entre deux eaux, deux mirages, deux reflets. Son corps est pierre de mémoire.
Consentir à l’énigme. Être absolument mélancolique. En ces temps où une certaine civilisation est sur ses fins, ce sont les seuls à pouvoir résister.
Jean-Louis Bernard
S’il était besoin d’ajouter quelque chose à ce que tu as dit sur la poésie, je parlerais d’un langage de l’intérieur de la détresse.
* 4 novembre 2011 |
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