Notes de lecture

 

 

Nuit d'écrire […] « ce bel ensemble, tenu et grave. On reconnaît ta voix et ton aptitude à mêler concret et spiritualité, à « transcrire / les mots du corps ». 
Ses [de Germain Roesz] Cahiers du Loup bleu se sont enrichis d'une vraie écriture. »

                                                                                  Jean Le Boël                                                                                                                                 Poète et éditeur

 

Écrire "toujours au plus loin" semble être vraiment ce qui te porte et c'est sans doute ce qui nous parle, à nous lecteurs. Cette recherche aussi essentielle que sans fin donne toute
la profondeur à "Nuit d'écrire".
On ne peut retenir la lumière, son effacement progressif, il n'y a pas de traces, pas de chemin pour la retrouver  L'absence est partout présente pour nous "séparés du monde".
Nous restent les mots brûlants "transmis de femme en femme", alors nous sommes devenus "la lumière de nos attentes". On pense à Camus en lisant ce livre, à ce qu'il nous dit : "il faut imaginer Sisyphe heureux", devant l'absurde, devant "l'inconcevable fin" vers laquelle nous allons chaque jour, nous persistons dans nos attentes car nous voulons "des instants de grâce" face à "la lumière perdue".
On fait juste une tentative pour voir le jour se lever en déposant nos mots sur la page.

(Cela m'a rappelé ce que j'écrivais dans "Vivre": "on voudrait trouver du sens à l'insensé"...).Voilà quelques remarques qui me sont venues en lisant ce livre qui affleure, suggère…Bref, qui nous offre de la poésie.

                                                                                   Mireille Fargier-Caruso
                                                                                   poète

 

 

I.D Janvier 2024

Bonjour,

On attendait, en ce mois de décembre, la 200ᵉ livraison de Décharge : elle advint, à son heure, avec cette régularité tant appréciée, sous couverture de Renaud Allirand, et dont le sommaire tient certainement la dragée haute à tout autre, mais rien du numéro "fracassant" (Jean-François Dubois, in "finir en beauté" du 21 décembre dernier, sur le site) attendu. Un "Patatras", au contraire : Jacques Morin jette l'éponge, la revues'arrête sur ce chiffre rond, ce qui atterre nombre d'entre vous : Décharge n'est pas la revue immortelle qu'on avait fini par imaginer.

Je renvoie à la mise au point ( "Le mot de la fin ") de Jacques Morin dans ce numéro ultime : " La fin d'une revue me semble dans l'ordre des choses". Mais la fin de celle-ci n'entraîne pas fatalement la clôture de celle-là, je veux dire : de la collection Polder, que j'ai décidé de prolonger en 2024 (au moins), entouré des historiques (Yves Artufel, Alain Kewes, Jacmo). De même, continueront à être mises en ligne les chroniques sur le Magnum : www.dechargelarevue.com.

Je parie donc, amies et amis, lectrices et lecteurs, sur votre fidélité pour soutenir à l'avenir les prochaines publications de Polder : l'abonnement pour quatre numéros (ou sur un an) vaut 24 €, à adresser par chèque (à l'ordre des Palefreniers du Rêve) à Jacques Morin, 11 rue Général Sarrail - 89000 Auxerre). Toute information (y compris abonnement par Paypal) sur l'onglet : S'abonner.

(C'était notre page de publicité), et jetons un œil sur le mois écoulé où nous vous avons conseillé la lecture des derniers livres de Matthieu Lorin, Typhaine Garnier, Bernard Sesé, Chantal Dupuy-Dunier, Philippe Longchamp, Emmanuel Moses, Evelyne Morin, à écouter les voix de la Montagne rassemblées par Jean-Pierre Chambon et celle de Jacques Carlot, à évoquer celle de Jean-François Mathé, qui s'est éteinte début décembre.  

Et nous voilà à mettre le pied dans l'année 2024 : on y entre par la Revue du mois : Interventions à Haute voix n° 65 qui se penche sur Nos adolescences.

Et cette pensée de Luis Mizon (in l'anthologie "Ces instants de grâce dans l'éternité", au Castor Astral), pour nous encourager à poursuivre, malgré tout, et accompagner mes vœux pour l'année commençante :

Écrire un poème est un acte de courage
comme se jeter à la mer
pour sauver un enfant

Courage ! et mon amical salut à toutes et à tous,
 
 
Claude Vercey

 

 

DIÉRÈSE n°90, juin 2024
Directeur de publication : Daniel MARTINEZ

Évelyne MORIN NUIT D’ÉCRIRE
Éd Les Lieux-Dits, 2023, 44 pages, 7 euros

« Écrire, c’est fossoyer la nuit, jusqu’à percer le petit jour » (Sylvie Germain, in « Céphalopores »).
Les deux mots les plus importants de cette phrase forment (forgent ?) le titre du livre d’Évelyne Morin. Livre hermétique au sens mythologique du texte (Hermès, conducteur des âmes vers les Enfers, Hermès qui descend dans la nuit et fait apparaître les gouffres). L’autre personnage qui rejoint les Enfers se nomme Orphée : il charme les bêtes sauvages par son chant, ancêtre du poème écrit. La nuit, l’écriture : ces deux-là deviennent inséparables sous la plume essentielle d’Évelyne Morin.
Mais cet infinitif du titre ? Énigme ou évidence tellement énorme qu’on ne la voit pas ? Est-ce la nuit qui fait écrire ou écrire qui fait nuit ?
Ici et là quelques oxymores célébrant le jaillissement héraclitéen des contraires qui seul donne harmonie au monde (« nuits flamboyantes », « traces d’inexistence »), quelques majuscules au milieu des vers, fanaux remettant le lecteur égaré sur le chemin, comme une respiration permettant de replonger, apnée salvatrice donnant accès aux abysses. Là gisent les mots d’Évelyne Morin (« les mots attendent dans les ténèbres »), ces mots « issus de terre » dont la fulgurance nous offre une clé pour ouvrir les mondes scellés. Ainsi se bâtit cette écriture non-pareille, juste en deçà du non-dit (« écrire toujours/ au plus loin/ de ce qui ne s’écrit pas »), cette écriture qui nous enseigne que le poème est sans doute la seule entité qui puisse introduire l’indicible dans le dit, et faire comprendre ainsi que le mystère est, non pas un problème à résoudre, mais l’essence de l’inconnaissable (ce qui jamais ne pourra être découvert). Les mots, ici, ne sont plus mémoire, pas encore oubli, et donc malléables : écrire, pour la poète, c’est les faire grandir. Et c’est aussi prendre soin de l’impensable (ce qui existait avant les origines), cet impensable qui relance le questionnement primordial.
Et donc nous voici immergés dans une poésie porteuse d’une intimité translucide (et, pourquoi pas, trans-lucide, au-delà de la lucidité…) jusqu’à l’évidence ultime de la parole. Ne pas oublier, à cet instant, que le mot « lucidité » vient de « lux » (lumière). Alors la lucidité est-elle recommandée lorsqu’on poursuit des ombres ? Peu importe, dit la poète, l’essentiel est ailleurs : la poésie est atemporelle. Et comme le sens du temps est aussi un sens du lieu, « nous sommes au centre/ du lieu/ qui n’existe pas ». Mais qu’elle nomme cependant, lieu veillé par le nom, nom émigré dans le lieu. Et ce lieu sans appartenance est ainsi propice au compagnonnage avec l’invisible. Ici et n’importe où, lieu qu’on trouve et qu’on ne trouve pas, et qui nous fait étrangers quelle que soit notre quête. Et pour accueillir cet étranger en soi, il faut se séparer du natal : cela se nomme l’errance (« nous inventions un nouvel exode/ sans savoir où/ nous serions demain »).
Comprendre alors que l’errant(e) sait, mieux que personne, saisir les choses par leur absence. Et donc, à la limite, s’absenter du monde (pour pouvoir y revenir ?). Est-ce cela l’existence ? Quoi qu’il en soit, nous dit Évelyne Morin, toute existence cache en elle une fissure par où s’échappent le désir et l’attente. Demeure alors seule la nostalgie de ce qu’on n’a pas connu et, peut-être, l’espérance de ce jumeau du vide qu’est le surgissement. Quant à la mort, qui frôle chaque page, il ne nous reste plus, dit la poète paraphrasant René Char, qu’à faire de l’art avant elle. Hantée par les pendus de Tulle (1944) que son œuvre tient pour bornes milliaires, scandant le retour aux origines, sa parole devient fleuve roulant entre vie et mort, à découvert, jusqu’au poème ultime, seul écrit au futur.
Nous l’avons dit, la poésie est donc ici hors temps : « l’instant peut être/ à lui seul la lignée du temps ». Ainsi peut-on provisoirement guérir de l’inusable regret des mondes possibles, comprendre par exemple l’alchimie secrète qui, pour la poète, organise soudain les mots et la pensée. La poésie est aussi hors lieu : « Nous sommes au monde/ Séparés du monde ». Ainsi ne se pose à l’errante que la question du regard porté, regard qui génère métamorphose. Noir rime alors avec regard en y laissant entrer la lumière, lumière permettant elle-même d’invoquer la perfection du noir. L’obscur ne serait-il pas ainsi ce qui seul donne au regard l’occasion de découvrir son identité propre ? Ce qui seul peut donner corps à la « lumière de nos attentes » ? Ce qui est sûr en tout cas, c’est que la nuit est (avec l’absence) terre d’origine. C’est elle qui est première, qui ne dit pas où il faut aller, mais seulement la difficulté à y aller. Ce que nous fait comprendre Évelyne Morin, c’est que tout est réel dans l’obscur qui devient un temps abstrait où l’on erre, à la fois miroir et trou noir. Or écrire, c’est sous-entendre, sous-dire, créer du sens caché, donc du secret. Pas étonnant que cela soit à la fois source et estuaire de la nuit.
Par la nuit sont protégées les archives de la question initiale. À qui sont-elles accessibles ? Aux voyants, ceux dont le mode de connaissance est l’imaginaire, ceux qui ne recherchent pas une réponse aux mystères, mais une coexistence avec eux. Acceptation, abandon, renoncement à toute quête (conquête, requête) : les « chercheurs de vie » suivent obstinément « la paix de vivre », guidés par une lumière appelée peut-être l’écrire. Parce que les mots ne peuvent sortir que de la nuit, et qu’ils savent, en cet ouvrage, nommer ce qui n’est pas visible. Parce qu’ici, la liberté du lecteur est dans l’intervalle, dans ce qui est entre les mots et qui n’est pas silence. Parce qu’Évelyne Morin met en ombre les mots (ces mots si souvent sommés d’être mis en lumière), réconciliant ainsi par le titre de son livre le mystère et l’évidence.

                                                                       Jean-Louis BERNARD

 

 

Poésie / Première n°88, mai 2024

 Évelyne Morin, Nuit d’écrire, Les Lieux-Dits, Cahiers du Loup bleu, 2023, 35 p., 7€.

            Post tenebras ad lucem (vers la lumière derrière les ténèbres). Cette phrase résume bien la poésie d’Évelyne Morin. Une poésie qui part à la recherche d’un ailleurs invisible que l’on porte en soi, au plus secret de son être. Écriture poétique dense et subtile, cadencée par des vers de différentes longueurs, pleins de ruptures dans le rythme, mais qui n’ont qu’une seule ambition : « Nommer ce qui était sans nom /Écrire / dans l’aridité du présent / Écrire toujours / au plus loin / de ce qui ne s’écrit pas / comme un cri jamais crié ». Ces poèmes parlent du temps, notion plus ou moins abstraite, que l’on ne peut ni toucher ni arrêter, et qui pourtant hante nos jours et nos nuits, et qui scande le cours « De nos existences / Éphémères Essentielles ». L’homme vit à chaque minute dans une dualité d’existence : « Nous sommes au monde / Séparés du monde ». Et l’homme doit accepter de vivre ici et ailleurs, dans un lieu physique, et dans un lieu imaginaire qu’il crée par l’écriture. Et si « Les mots attendent dans les ténèbres », ils nous accordent aussi de la lumière pour continuer d’exister, même dans la « Solitude de la parole ». Écrire est une façon de faire face à la mort, au néant qui nous guette : « Mais perdure l’écoulement lent du temps / Une épiphanie surgira de l’extinction ». Vivre est un perpétuel commencement et recommencement. Voilà donc une poésie qui nous ouvre au monde, à ses fracas, ses désastres, mais aussi à ses beautés. Elle est profondément humaine, à l’écart du monde et enracinée en même temps dans le monde. Le réel et l’imaginaire se côtoient. Et l’homme, même fourbu, humilié, terrifié, voire torturé, fait face malgré tout, parce qu’il ne peut pas s’avouer vaincu. « L’homme / dans les soubresauts du désir/ tente une dernière sortie / à l’air libre ». Pour respirer à nouveau, et profiter de la lumière que le temps nous accorde.

                                                                                               François Teyssandier

 

 

Une belle justesse d'accords, d'images qui me parlent d'autant plus que je connais ces "terrils noirs" des lieux d'enfance mais aussi de l'écriture et ses puits que nous ne cessons de forer jusqu'à la lumière. C'est une chance que de vous accompagner, (avec un loup au visage un peu inquiet et au corps bombardé de boules de neige !).

                                                                                        Marie Alloy
                                                                                          Auteure du dessin de couverture

 

 

Dans la revue EUROPE, en avril 2024, l’article de Mathias Lair-Liaudet sur
Évelyne Morin, Nuit d’écrire
où lui semble-t-il elle parvient au sommet de son art.


« Il arrive qu’au bout d’un long chemin, le poème (la poète ?) parvienne à une incandescence. Alors tout superflu est brûlé, reste l’âme – si l’âme est le cœur de la chose, ou de la personne, comme on parle de l’âme d’un violon, dont on sait qu’elle a pour fonction de transmettre les vibrations par tout le corps ».
La suite dans la revue

12


https://www.facebook.com/mathias.lairliaudet.35

 

 

 

Lire relire re-relire et ainsi s'arrime notre cœur à l'essentiel.

Nuit d'écrire questionne notre cocon-monde d'où chaque jour se réinvente le ciel du jour, émergeant de nos ténèbres.
Devenus lumière de nos attentes, devenus délivrance de l'inquiétude boueuse, nous tendons nos antennes de vivants vers une parole ardente tout entière désir de sortir de la réclusion de la mort.

Délivrés de la fuite du temps et de l'angoisse, même perdus, nous avançons. La lumière, dis-tu.
C'est cela ta prophétie. Elle balaye la menace.

Il y a toujours eu des parois pour inscrire l'impermanence, des gestes de métamorphoses entre ici et là-bas.

Les mots appellent la venue de la Confiance/Conscience, ils apaisent la Peur/L'Angoisse.
Ils ne maîtrisent rien. Ils appellent.

Les mots s'arriment à la crête des collines où s'animent les chevaux blancs. J'ai vu des images de films en noir et blanc, Bergman ou Bela Tarr, je ne sais plus.

Mémoires qui se rejoignent, désirs qui flamboient. C'est le chant d’Évelyne Morin.

                                                           Maïté Vienne Villacampa

                                                           Poète, écrivaine

 

 
1