Notes de lecture
 

Verso 194
automne 2023

« Il n’y avait que des ombres / parsemées de lumière / Nous courions dans les prés jusqu’au ruisseau / L’eau était fraiche de tant d’années ». Même s’il y a souvent cet allant, cette vivacité, cette joie quasi « enfantine » dans les poèmes du recueil UNE LUMIERE INCERTAINE d’Evelyne Morin, c’est une grande impression de perte qui domine à la lecture. Du « rien provisoire ». De la douleur de la perte : « regarder jusqu’à l’éclatement du vide », donc de la mort « J’entends parler / la mort dans le silence / du bruit intérieur », de l’effacement constaté « Tu descends dans les mots / souterrains Les mots / qui s’allument dans le noir / Tu regardes de ton regard / d’invisible » ou d’un effacement caressé « L’effacement du corps dans le désir / de la matière : un rêve » ou « Elle cherche son reflet à côté du miroir », d’un désir de paix « Pastorale d’une attente …/… le silence / Ange gardien d’une tombe ». Métaphorique telle est souvent la manière d’écrire d’Evelyne Morin « Un cavalier au loin dans les herbes hautes / sous l’obscurité d’un ciel d’orage / Signe émergeant de la perte // Vider le cœur du lointain // De ce qui fut présent à peine // Retrouver le chemin perdu ». Le réel avec ses ombres, mis en images pour rendre sensibles sa forme, ses ombres, son bruit, les sentiments, les sensations qu’il devrait provoquer en chacun de nous si nous étions attentifs à la « vraie vie » : « Il y a l’absence sans visage / de ceux qui sont à l’instant / présent / croient-ils / Et rien ne les appelle à demeurer / là plus longtemps / La scène parsemée de confettis / blancs / Un chant rouge dont on sait / Qu’il s’achèvera lui aussi ». Métaphorique, mais pas de flou artistique dans les poèmes d’Evelyne Morin ; au contraire, de courte strophe en courte strophe de vers libres, une volonté de préciser ; pas de réel effleuré comme souvent dans la poésie d’aujourd’hui, mais un acharnement à creuser, à aller voir sous la surface, les apparences, les reflets, à chercher les sensations, les sentiments les plus secrets, les plus intimes : « Les senteurs de tilleul séché / éclatent dans la chaleur / de l’été à l’ombre / du grenier où tu reviendras / peut-être à l’achèvement de toi et elle / qui était toi ».

UNE LUMIERE INCERTAINE d’Evelyne Morin, 13 €, Ed. UNICITES, 3 Sente des vignes 91530 Saint-Chéron. http://evelynemorin-poésie.fr

                                                                                   Christian Degoutte

 

 

DIÉRÈSE n°85
Automne 2022

 

Évelyne MORIN  UNE LUMIÈRE INCERTAINE
Éditions Unicité, 2022, 118 pages, 13 Euros.

 

        Évelyne Morin nous revient. Elle manquait à la poésie. Qui mieux qu’elle pour parler de « ce qui est…/ en suspens au bord du vide/ miné par l’instant » ? Voix pénétrante qui nous ouvre, en ombres d’encre, des espaces non cartographiés, traversés d’insolites tombées de lumière. Mais une différence essentielle est creusée : ne confondons pas, dit la poète, l’espace du dire,  (là où tout discours peut se donner libre cours) et le lieu de la parole (là où cette parole faible, hésitante, errante, peut seule avoir lieu), l’espace de la coexistence et l’espace de la rencontre.
        Une poésie hors lieu (et hors temps, mais nous y reviendrons) se met en route : elle brouille les lignes de démarcation entre nuit et jour, présence et absence, ici et ailleurs. Elle est à la fois du seuil, où veille l’attente, et du passage, où prend vie l’errance. Mais « l’autre toujours nous attend/ plus loin que nos demeures » et « les êtres de passage ont disparu ».
        Dans le pays d’Évelyne Morin rôdent des ombres affamées de souvenirs, règne la « plénitude de la soif au désert/ lorsque la nuit des étoiles/ suspend un temps le chemin ». La poésie est ici un territoire nu et fécond, fécond parce que nu, dépouillé, à la fois ouvert et livré à lui-même. Pays ressenti et perdu, dont le nom ne peut se saisir que dans le silence. Et ce silence nécessite des mots adaptés à lui, des mots faits pour mettre au jour ce qu’il dit de lui-même.
        Alors la poète appelle les mots par leur nom, jusqu’à ce qu’ils répondent. Et l’écho de cet appel rebondit sur les parois du vide (« ce mot qui se cherche/ là dans le vide »), ce vide avec lequel elle pérennise un dialogue qui nous fait comprendre que notre existence ne repose sur aucune essence. Jeu avec le mystère de notre présence au monde, avec les vertiges devant ce mystère. Jeu qui ne peut se pratiquer qu’en solitude («la solitude est plus grande seule sur fond de ciel »). Évelyne Morin accomplit ainsi un peu commun travail d’absence. Et qui donc est concerné ? La mort en premier lieu, compagne omniprésente, à la fois dans le souvenir (les horreurs de la guerre, perpétuelle anamnèse dans son œuvre), mais aussi au-delà d’une éternité entendue ici non au sens de la durée, mais à celui de l’intemporalité (« le silence/ ange gardien d’une tombe/ délavé par le temps/ longtemps après la mort/ et la fin de la mort »). Le noir, qui fait côtoyer tous les possibles, renvoie la lumière (« un jour la vie sera là/ à côté comme une fête/ dans le noir ») et protège des fureurs du monde (« rallumer le noir/ à la lumière/ derrière la porte// et disparaître »). Et le Perdu (avec un grand P) avec lequel la poète tisse une relation unique, parce qu’elle le sait : c’est la perte qui nous aide le mieux à nous souvenir.
        Et ce travail d’absence est si prégnant, si profond, qu’il ne peut conduire qu’à l’éveil. Or l’éveil, chez Évelyne Morin, a forme d’exil, cet exil ici addition d’ombres, cet exil qui, réinventant à chaque page passé et futur, redessine les frontières, faisant cohabiter la perte et la fête, la source et la soif. Et cette échappée vers des territoires où règne l’incertain («  chaque chose meurt qui devient certitude », se plaçant ainsi dans les pas de Villon pour qui « rien ne m’est sûr que la chose incertaine »), cette échappée échappe elle-même à la poète, l’entraînant à refuser le déjà tracé : il n’y a de chemin poétique pour elle que celui qui surgit sous chaque instant de son avancée. Évelyne Morin marche, et ses racines sont dans ses pas. Elle n’a d’autre toit qu’elle-même, et son Ithaque, (jamais atteinte par bonheur, mais en permanence frôlée, regardée : la notion de lieu n’est-elle pas bâtie avant tout sur l’idée du regard porté ?) est l’indicible. « Le chemin s’est perdu en chemin » : l’égarement est le chemin lui-même. À travers les cris des corbeaux et les fantômes de l’enfance, sur les sentiers de bruyère (« Odeur du temps brin de bruyère/ et souviens-toi que je t’attends » : Apollinaire, elle avance comme elle le ferait dans les décombres de villes dévastées, et ces décombres sont les fondations sur lesquelles elle bâtit une esthétique de l’imaginaire.
        Et elle ne se contente pas de marcher. Elle guette aussi, aux confins de la vie et de la mort. Derrière les souvenirs prégnants, les présences éphémères, la Peur originelle (qu’on pourrait ici nommer Effroi). Elle guette, et son regard devient tension entre ce qui s’affirme et ce qui s’efface. Elle guette, et le temps s’échappe des horloges pour devenir nuit (« entre temps réel et temps disjoint/ la nuit des morts avance »). Temps non linéaire permettant de transfigurer ce qui se trouve sous notre regard (et peut-être, en conséquence, le regard lui-même). Temps où les différents temps se superposent, se dissolvent, se régénèrent. Et si ce temps devient nuit, c’est parce que c’est la nuit que l’on comprend que l’instant est primordial. Parce que la nuit est habitable.
        Évelyne Morin écrit dans l’improvisation de la trace et la scintillance du souvenir. Sa poésie fait entendre plus que des mots ou des sons, plus même que le silence. Cela s’appelle la beauté. Celle-ci a-t-elle été recherchée ? Sans doute pas. Les poèmes d’Évelyne Morin sont d’une extrême humilité. Et c’est justement cette humilité qui les fait à la fois cime et gouffre, qui permet d’aborder les confins du langage, là où les blancs du texte relaient les mots, marquant des pauses où l’impuissance à dire se repose. La beauté pousse ici l’exploration au-delà du réel, aidant le lecteur à retrouver en soi ce qui n’existe plus. Elle passe entre les lignes comme au ralenti, sans urgence et sans pesanteur. Quintessence de la lumière que peut diffracter une langue venue sans doute tout droit du pays des ombres.

                                                                       Jean-Louis BERNARD

 

 

 

Jacmo, DIA

Décharge Septembre 2022 – n°195

 

Évelyne Morin : UNE LUMIÈRE INCERTAINE (Unicité)

C’est un recueil assez obscur que nous livre Évelyne Morin. Il suffit de prendre quelques titres des 7 parties qui constituent son nouveau livre pour s’en apercevoir : « Images du vide », « Présent à peine », « Indéfinition », « De source noire »… La vie ancienne s’est dérobée / Disparue dans un puits de lune… Un certain nombre de thèmes sont pris et repris, un peu obsessionnels, et dont on n’a jamais fait le tour : le temps, l’attente, le rêve, l’image, Elle cherche son reflet à côté du miroir Même l’enfance qui est souvent abordée n’est pas forcément salvatrice : Tentative d’accomplir / la jonction du temps / et de l’imaginaire enfance Souvent la tentative de définition, de fixation d’une notion aboutit à son contraire : Le rêve peut se terminer / avant terme / du départ perdu / dans l’ailleurs d’ici ou bien jusqu’à l’inconscience de perdre conscience ou encore cette sensation : Quelque chose bat dans le ventre / qui n’est / ni la mort ni la vie / seulement le manque / de ce qui n’est / jamais… et y est associée l’image récurrente du vautour dévorant l’instant / irréel, de même que les seuls animaux présents sont des loups en horde ou un renard Comme un souvenir heureux, ce qui est rare dans cette poésie de souffrance et d’effacement. Il est également question de désapparence de soi et plus bas : Ce sera la nuit / Et ce ne sera pas la nuit Côté végétal, seule la bruyère est plusieurs fois référencée. D’ailleurs même la présence humaine, charnelle est quasiment absente de ces pages. Il y a une sorte de désincarnation de l’être au profit de cette pénombre qui envahit le livre. Chaque chose meurt qui devient certitude. Et le dernier poème de l’ensemble commence ainsi : Des tentures noires / obscurcissent le ciel Livre apparemment de l’enfouissement et du deuil, on comprend mieux le titre de l’ensemble, cette lumière possible entachée de doute au bout du chemin sur la terre, pour reprendre celui de la dernière partie. Les chants de deuil ont replié leurs voiles / et s’éloignent sur des vaisseaux fantômes / dans le noir des nuits sans rêves

13 €. 3, sente des Vignes – 91530 Saint Chéron

 

 

Décharge 196 décembre 2022

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VERSO

191   décembre 2022

 

ÉVELYNE MORIN : UNE LUMIÈRE INCERTAINE – Éditions Unicité 13 €

 

« Nous irons tard dans la nuit / rejoindre nos attentes / inaccomplies / Nous irons / où nous croyons aller / dans l’illusion des eaux vives / Enfanter les fantômes / d’enfants que / nous ne fûmes pas / et que maintenant / nous pleurons » Cet extrait est associé à une évocation des 99 pendus de Tulle, œuvre de la division nazie : das Reich en 1944. Nous ne pouvons devenir ces enfants qui nous faisaient envie mais faute d’avoir approuvé les modèles d’enfants que les nazis voulaient nous imposer 99 innocents furent pendus à Tulle. Ma phrase n’est qu’une métaphore. Derrière il y a le spectre du modèle. Celui du vide aussi évoqué en écho à la page suivante : « Lorsque les cloches sonnent le soir / quelque chose disparaît qui n’a pas su être… » Mais en réponse à ce doute il y a cette pensée que nous ne pouvons être que ce que nous sommes, ce que nous avons essayé de construire. En marge d’Orphée et d’Eurydice une sentence qui tranche ! « … la voix / est belle de la mort / qui ne se retourne pas ».
Ce livre est cette quête de l’inconnu.
Plus loin, nous lisons Les bois flottés du jour qui nous entraînent vers un monde transparent et, selon Évelyne Morin, « La puissance originelle de ce qui n’a pas d’origine ». Un livre à explorer dans tous les sens du terme !

                                                                                              Alain WEXLER

 

 

 

 
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