Notes de lecture
 

 

Évelyne Morin exalte les mythes de la tragédie humaine, les traces des guerres ignobles comme cette poupée dont la tête émerge de la terre : « Une poupée sort la tête du sable / Je ne trouve plus mon corps dit-elle / Je ne reconnais plus le monde / Ici il y avait une ville /  Le vent souffle à sa place / s’engouffre dans les rues qui n’existent plus / Je suis le soldat qui veille / la limite qu’on n’atteint pas / La pluie entre dans mes yeux sans paupières / et le soleil… » Les exilés perdus dans les déserts : « Les ossements des étoiles et des hommes mêlés / par le vent dans le désert d’Atacama // Vêtements dévêtus des corps / alourdis de la poussière du soleil / Laissés à terre ouverte // Les femmes marchent la disparition jusqu’au bout de leur cri… » Le poème exalte les traces visibles  d’un crime impuni dont on ne sait exactement le nombre de victimes mais dont on connaît les auteurs, grands groupes financiers avec leurs élus fantoches qui ont de l’urticaire au seul mot de solidarité ! Dans ces livres il y a des textes énigmatiques d’une beauté à couper le souffle : « Suite pour 99 cordes » : Ombres, désirs. Un accordéon qui joue au bord de la vie, une histoire de morts inachevées et une rivière nouée que le temps ne peut dénouer. Dans les pages précédentes, on lit que l’enfance des filles coule comme une rivière quand elles perdent leur ombre et, plus loin, que le lit se fend comme un  bateau qui renonce à la mer. J’y vois comme un renoncement. Ce lit fendu c’est comme une barque naufragée. Ombre perdue, rivière nouée… Ou rivière qui ne peut pas suivre une autre voie que celle de son lit, ce qui est normal pour de l’eau mais pas pour la vie.

 

                                                                                              Alain Wexler

                                                                                              Verso n°177, juin 2019

 

Le mot « anthologie » signifie à l’origine « recueil de fleurs ». Jalonnent-elles le parcours poétique d’Évelyne Morin, dont la présence dans la collection « Poètes trop effacés » s’impose à l’évidence ? Ajoncs alors, bien davantage que fleurs des champs. On se griffe, le chemin disparaît parfois, il n’existe pas de balises. Et justement.
Qu’est-ce qui fait qu’une écriture est essentielle ? Qu’il y a un avant et un après ? Les ralentissements et détours qu’elle offre, bien sûr. Et aussi les alluvions que draine chaque poème. Elles s’appellent désir, gouffre, effroi, mémoire et oubli, absence, mélancolie (base de toute création, disait Aristote), obscur et clarté, et puis le silence, et évidemment, le temps. Mais tout ceci ne serait que vaine énumération si ne perdurait, au gré des pages, cette forme musicale appelée contrepoint, superposant les contraires : le soleil est violence, le désir songe, le vide demeure. Et cette inattention apparente au quotidien qui seule peut mener à l’orée de l’indicible.
Chez Évelyne Morin, mots et silences accueillent, en vigilance inquiète. Ils accueillent l’infime, le fugace, le précaire. Même la mort. Même l’absence au monde. Même le rien. Et donc la beauté, c’est-à-dire tout ce qui prend feu aux mille recoins de l’imaginaire.
Sous la dictée de l’attente, elle écrit. Cela lui permet de rester vivante dans le désœuvrement  du temps. Ses écrits reposent sans cesse la question de la trace, disent sans cesse les territoires du désastre (consentir au tragique, de manière à retrouver le lieu essentiel où il gît, et ainsi la possibilité d’une parole universelle qui aidera à la fois à parachever et à transfigurer la tragédie du monde). Et ses mots, qui dénomment, effacent simultanément ce qu’ils tentent de définir, pour une disponibilité, une virginité toujours intacte. Évelyne Morin fait ainsi partie, à l’évidence, de cette toute petite aristocratie de l’écoute dont les membres, en plus d’être poètes, sont voix.
Lisible et non facile, (si rare, les deux à la fois), l’œuvre d’Évelyne Morin est tressaillement pérenne d’une auteure qui suit sans se déjuger le même chemin poétique (Maître Eckart : « l’autre chemin est sans chemin »), en route vers l’innommé, vers l’ultime silence. Vecteur d’une poésie indispensable.

Jean-Louis Bernard

in revue Diérèse poésie & littérature 73 été 2018

Directeur de publication : Daniel Martinez

 

 

Décharge 178  juin 2018

Jacques Morin

 

Evelyne Morin a publié une vingtaine de recueils chez Caractères, La Bartavelle, Jacques Brémond, Le Nouvel Athanor, Gros textes… (Elle est l’auteure également du Polder 119 : « N’arrêtez pas laterre ici » en 2003, repris ultérieurement au Nouvel Athanor). Son premier livre date de 1975, chez PJO. Qu’une anthologie dans la collection « Poètes trop effacés » lui soit consacrée est mérité, d’autant que sa poésie, à la relire rassemblée sur quarante ans conserve une étonnante unité. Il y a peut-être davantage d’affirmation dans le vers avec l’expérience mais la ligne de base n’a pas varié. Elle écrit dès le début en parallèle d’un travail continu sur le théâtre : Figurant d’un spectacle où il n’y a pas d’acteurs. Et très vite, elle insiste sur l’aspect contingent de l’existence : Je m’enfuis sur les canaux gelés / de ce qui n’a jamais été et un peu plus loin : Je me défais en éclats de vie / en éclats de mort On est toujours dans l’illusion, joue-t-on ? À quoi joue-t-on ? Quelle est la part de vérité, de mensonge ? La vie est là / si fausse / qu’elle fait mal / comme si elle était vraie. En outre sa poésie demeure très attachée aux sons ou aux images qui déteignent aussitôt sur son être sensible : Une bétonneuse broie le silence d’un chantier / L’écœurement s’étire au long des rues […] Le linge se salit de sécher aux fenêtres éteintes Elle l’analyse et le définit elle-même avec netteté, en raccourci : La vie n’est que ces liens / de bruits d’odeurs d’images / qui tissent un nom / entre naissance et mort Elle en revient encore à la métaphore ou la parabole théâtrale : Dans les coulisses / un acteur a cassé le miroir
/ où il a perdu son image Le désir s’arroge à un moment donné de son écriture une importance centrale que ce distique résume absolument : Désir de ton désir / Tu éveilles les monstres obscurs de mon ventre Et je rapproche deux autres extraits qui se répondent symétriquement : Mes mains dessinent / ton nom sur ta peau et Tes mains / écrivent les lettres de ma vie sur ma peau Sa poésie au fur et à mesure va délaisser la panoplie des personnages classiques et des rôles légendaires pour s’attarder sur l’histoire événementielle, les faits de mémoire, et toucher les traces qui témoignent des blessures profondes, n’oublions pas qu’Evelyne Morin est native de Tulle, ville martyre pendant l’occupation. Ainsi son tout dernier recueil « Le Bois des Corbeaux » évoque 14-18. Mais elle écrivait en 78, déjà sensible aux drames actuels : Où s’en iront ces étranges navigateurs / rejetés sans cesse à la mer / au fond des solitudes sans fond Et en ce sens, je m’inscrirais plus que sur le mysticisme que met en avant Jean-Luc Maxence dans sa présentation, sur l’engagement dont fait preuve avec obstination et constance Evelyne Morin, poète de la temporalité humaine.

 

Jacques Morin

in revue Décharge 78  juin 2018

 

 

j'ai relu tes poèmes, et j'ai retrouvé cette petite "musique" qui t'est si particulière: ce "cri multiplié par la vie jusqu'au dernier souffle" ,à la fois si discret et si vibrant .
Cette vie "restée là bas avec l'enfance " dont est empreinte  ta poésie, avec ses "matins ordinaires " qui "sentent les rêves froids", avec la "ligne pure et noire de la douleur" avec "le calme des monstres qu'on croise parfois sans les reconnaître"..
Alors, on est frappé par une tristesse sourde, ce monde trop lourd, une nostalgie - d'avant? - de quel état?-
on cherche entre les lignes ces "étoiles " qui "se soulèvent dans la nuit".

                                                                                  Mireille Fargier-Caruso

 

 

 

il y a une profonde unité dans ton œuvre. Un univers où l'ombre et la lumière se battent sans cesse...Beaucoup de souffrance, mais une si belle aventure avec les mots...

                                                                                  Claudine Bohi

Article de Jacques Morin dans la revue en ligne Texture, de Michel Baglin

 

http://revue-texture.fr

 

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